Depuis sa création en 1976 dans le pays lorientais, l’entreprise a connu des fortunes variées sous différents noms : Serpe, Kannad, McMurdo, puis Orolia. Malgré les tournants stratégiques et les vicissitudes économiques, certaines valeurs ont été préservées, en même temps que le savoir-faire dans la conception et la fabrication des balises de détresse. "Très peu d’acteurs dans le monde peuvent rivaliser avec les produits que nous développons ici", annonce Christian Belleux, actuel directeur général d’Orolia.
Pour évoquer l’aventure de l’entreprise qu’il a rejointe au début des années 2000 comme responsable commercial pour le secteur aéronautique, le dirigeant se révèle aussi enthousiaste à décrire l’expertise de ses équipes, que secret lorsqu’on aborde les spécificités techniques des produits d’Orolia, assemblages savants et confidentiels d’ingénierie électro-mécanique. De fait, ce n’est pas un hasard si le très puissant groupe Safran, motoriste et fournisseur du secteur aéronautique (15 Md€ de CA ; 76 000 salariés) a jeté son dévolu sur cette pépite fin novembre 2021 en la valorisant à hauteur de 400 millions d'euros, soit le quadruple de son activité réelle.
Un repositionnement stratégique
Basée à Sophia Antipolis (Alpes-Maritimes), avec des implantations en Suisse (Neuchâtel), au Canada (Montréal) et aux États-Unis (Rochester), mais aussi dans la région de Paris (Les Ulis), le groupe Orolia pèse actuellement 100 millions d’euros de chiffre d’affaires et emploie 435 salariés. Détenue majoritairement depuis 2016 par le fonds Eurazeo, cette société, fondée en 2006 et présidée par Jean-Yves Courtois, a forgé sa renommée dans la mise au point d’horloges atomiques, capables de cadencer un temps précis et stable, mais aussi de serveurs de temps, qui assurent la conservation et la distribution de ce dernier, en permettant de modéliser les signaux, leur propagation et de développer des stratégies de surveillance par simulation. Profondément original et relativement discret dans la galaxie du groupe, le site d'Orolia à Guidel dans le Morbihan revêt néanmoins une importance stratégique et grandissante dans le nouvel ensemble que s’apprête à absorber Safran.
Dans l’attente d’être validée d’ici la fin du premier semestre 2022, cette opération doit parachever la mue de l’entreprise guidéloise amorcée voici une dizaine d’années alors qu’elle s’appelait encore Kannad. En rachetant Kannad en 2009, Orolia s’est offert un spécialiste des dispositifs individuels de géolocalisation, en particulier lors de situations de détresse en mer. Développées depuis les années 1990, ces balises ont démontré leur fiabilité et progressivement dépassé leur marché historique. Adossée à l’américain McMurdo, également rachetée par le groupe Orolia, l’entreprise s’est progressivement repositionnée sur les débouchés de l’aéronautique. Ses activités originelles dans le secteur maritime ont ainsi été successivement cédées au morbihannais NKE, et plus récemment, fin 2020, à l’entreprise néerlandaise Seas of Solutions.
Plus de 1 000 avions à équiper en 2023
"Le crash du vol Rio-Paris en 2009 a amorcé une réflexion pour renforcer la configuration des balises de détresse à bord des avions, éclaire Christian Belleux. Puis, l’affaire du vol de la Malaysia Airlines, abattu au-dessus de Donetsk en 2014 a tout accéléré." Employant 65 salariés pour un chiffre d’affaires de 12 millions d’euros et un bénéfice d’environ 500 000 euros en 2020, le site d’Orolia à Guidel s’est révélé à la pointe dans le développement de solutions adaptées, en s’appuyant sur un département R & D d’une trentaine de collaborateurs piloté par Stéphane Jincheleau.
L’entreprise a ainsi été récemment sélectionnée par Airbus afin d’équiper ses prochains avions en balises de type ELT-DT (emergency locator transmittor distress tracking) - avec son dernier modèle, l’Ultima-DT. Ce type de balises sera en effet rendu obligatoire dans tous les avions de ligne à partir de 2023 dans le cadre des nouvelles réglementations GADSS. "Ce marché représente 400 appareils à équiper dès cette année et environ un millier à compter de 2023", fait valoir Christan Belleux, qui a déjà dû procéder à l’ouverture d’une trentaine de postes afin de répondre à cette demande galopante.
Ayant déjà commercialisé près de 7 000 dispositifs de détection l’an dernier, le groupe Orolia dispose de solides atouts pour pérenniser cet essor. Appuyant 60 % de ses activités sur l’aéronautique civile, à travers notamment la marque Kannad qu’elle continue d’exploiter, l’entreprise compte ainsi parmi ses clients plus 250 compagnies aériennes, de même que des références prestigieuses comme Boeing et Bombardier.
Horloges et balises dans l’espace
Avec la gamme Sarbe, Orolia a également construit sa renommée sur les technologies de recherche et d’assistance dans le domaine militaire, en équipant par exemple les pilotes de chasse contraints de s’éjecter en territoire ennemi. Mais la France n’est pas le seul client de la société tricolore, qui travaille avec la plupart des armées occidentales, en particulier l’US Air Force.
Acteur aujourd’hui déterminant sur les questions de souveraineté, le groupe Orolia s’est fait remarquer en 2021 en remportant un contrat significatif de 70 millions d’euros pour équiper d’horloges la constellation des douze premiers satellites de seconde génération Galileo, concurrent européen du GPS. Des entreprises spatiales comme Space X se fournissent également chez l’équipementier, dont la majeure partie du chiffre d’affaires provient aujourd’hui de l’international.
En reprenant Orolia, Safran fait donc un choix cohérent en combinant ses propres activités déjà reconnues dans les domaines du positionnement, avec les spécialités du groupe de Jean-Yves Courtois. "L’acquisition d’Orolia renforce notre offre de navigation inertielle et élargit notre empreinte internationale dans ce domaine. La combinaison de Safran et d’Orolia va créer un leader mondial dans les solutions de positionnement-navigation-temps résilient pour les applications civiles et militaires", a souligné Olivier Andriès, directeur général de Safran.
"Il existe entre les deux entités une parfaite complémentarité en termes d’expertise technologique, de présence commerciale et d’empreinte géographique", renchérit Jean-Yves Courtois. Pour l’avenir de Guidel, ce choix devrait vraisemblablement accompagner et consolider un nouvel ancrage industriel en raison notamment des récents investissements qui ont été engagés sur le site. "À travers nos compétences et nos efforts actuels, nous sommes en train de faire bouger les lignes positivement", se réjouit Christian Belleux, qui bénéficie également d’un écosystème des plus stimulants, avec en particulier la proximité de la base aéronavale de Lann Bihoué.
Source : https://www.lejournaldesentreprises.com/article/orolia-prend-son-envol-aupres-de-safran-1936222