L’impact à long-terme de l’impression 3D sur la propriété intellectuelle
Thierry RAYNA est Professeur à l’École polytechnique, dans le département Management Innovation Entrepreneuriat et chercheur à I3-Centre de Recherche en Gestion.
Sur quel projet travaillez-vous actuellement ?
Je fais actuellement partie d’un projet de recherche financé par l’Intellectual Property Office britannique, en partenariat avec des chercheurs de deux universités australiennes (Queensland University of Technology et Wollongong University) et britannique (UCL), qui a pour but d’étudier l’impact à long terme des technologies d’impression 3D (aussi dites de « fabrication additive ») sur la propriété intellectuelle.
Essentiellement, la question qui nous est posée est de savoir si le développement et la diffusion de ces technologies – qui ont d’ores et déjà largement facilité l’accès à la fabrication numérique et permettront demain à tout un chacun de fabriquer des objets (de la même manière que tout le monde a pu devenir « imprimeur » grâce à l’impression papier) – nécessitent de changer les lois régissant les différents droits de propriété industrielle : le droit d’auteur, le brevet, les droits de dessins, les droits de marque, etc.
L’originalité de notre démarche dans ce projet est double : d’une part au lieu de nous concentrer uniquement sur les questions juridiques et technologiques, nous nous intéressons à la question des usages. D’autre part, puisque ces usages sont essentiellement émergents, nous avons mis en place une méthodologie prospective qui se base non seulement sur une analyse des dynamiques à l’œuvre dans les économies les plus avancées (Europe, Australie, Amérique du Nord), mais surtout de celles d’économies en développement (Chine, Inde, Russie), ces pays ayant à la fois des contraintes plus faibles en matière de Propriété Intellectuelle et de réglementation, et également des besoins économiques émergents forts, ce qui fait d’eux des terrains particulièrement propices à l’émergence d’usages de rupture de l’impression 3D .
Quelles évolutions voyez-vous pour ce projet ?
Après un travail de recherche initial où nous avons analysé et comparé les différents systèmes juridiques et la jurisprudence liés à la reproduction des objets dans les différentes zones géographiques couvertes par le projet, nous avons organisé quatre ateliers d’étude prospective (en Australie, Chine, Singapour, et Russie) réunissant une variété d’acteurs locaux (juristes, fabricants de matériel, entreprises utilisatrices des technologies, Fab Labs, écoles et universités, élus et représentants d’agences gouvernementales, consommateurs, etc.), ce qui nous a permis de mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre dans chacun de ces pays et d’évaluer les défis à venir en matière de propriété intellectuelle. Cinq autres de ces ateliers sont prévus dans les mois qui viennent en Inde, au Royaume-Uni, en France, en Allemagne et aux Pays-Bas. Puis, nous présenterons notre rapport final à l’Intellectual Property Office, à la suite de quoi il sera diffusé publiquement lors d’une conférence de clôture qui aura lieu en juin 2018 à Londres.
Nous pensons que ce travail de recherche est fondamental, car il faut à la fois maintenir l’incitation à créer et à innover des acteurs traditionnels (grands groupes, marques, artistes, etc.), sans pour autant restreindre la créativité des nouveaux acteurs (typiquement, des consommateurs et des entrepreneurs) qui, grâce à ces technologies, sont maintenant en mesure de prendre pleinement part aux processus d’innovation, voire de les initier. Par ailleurs, l’École Polytechnique est très active sur le front de l’impression 3D, avec, outre l’ouverture du Fab Lab du X Novation Center, le lancement récent du Centre de Fabrication Additive, et nous pensons que nos travaux seront très utiles aux chercheurs, entrepreneurs et étudiants qui y sont impliqués.
Site web du projet : https://3dpipfutures.com/
Site personnel : https://www.polytechnique.edu/annuaire/fr/user/12853/thierry.rayna
Propos recueillis par Marie Claude Cléon