Comprendre le consommateur
Cécile CHAMARET est une ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Cachan, agrégée en Économie-Gestion et docteur en gestion de l’École polytechnique. Elle est Maître de Conférences au département MIE de l’École polytechnique et chercheuse à i3-CRG. Ses travaux portent sur le comportement du consommateur dans des situations d’innovation technologique ou de déviance (contrefaçon).
De 2012 à 2017, elle a travaillé en tant qu’assistant professor à l’université Paris Sorbonne Abu Dhabi et développé des recherches de terrain sur les comportements des consommateurs du Golfe Arabo-Persique en matière de produits de luxe.
Elle a publié dans des revues françaises (DM, E&H) et internationales (IJRDM, JBR) et participe régulièrement aux grandes conférences internationales (EGOS, EURAM, AMS).
Parlez-nous de votre parcours de recherche !
J’ai commencé la recherche lors de ma thèse sur des problématiques stratégiques et technologiques en essayant de comprendre la manière dont se structurent et évoluent des marchés confrontés au processus de commoditisation : que se passe-t-il lorsqu’un produit considéré comme nouveau et innovant devient petit à petit une commodité ? Comment le marché se restructure-t-il ? Autour de quels acteurs ? Cela m’a amené à travailler sur les moteurs de recherche notamment. Dans la tradition du CRG, j’ai une approche de recherche qui est très tournée vers le terrain. Lorsque je suis arrivée aux Emirats pour enseigner à la Sorbonne Abu Dhabi, j’ai été très étonnée par les comportements de consommation des émiriens et frappée par un paradoxe : leur revenu par habitant est un des plus élevés au monde, ils sont très consommateurs de produits de luxe et pourtant l’expérience montre qu’ils sont aussi de gros consommateurs de produits contrefaits. Avec Julia Pueschel et Béatrice Parguel nous avons donc monté un programme de recherche autour des comportements de consommation de produits de luxe aux Emirats. Nous avons réalisé plusieurs dizaines d’entretiens passionnants avec des émiriens afin de comprendre leurs motivations sous-jacentes. Ces recherches ont notamment été publiées dans Journal Business Research[1].
Traditionnellement la perception de différents types de risques (risque de mauvaise performance du produit, probabilité d’encourir un risque pénal, risque social si les amis ou la famille détectent que l’on porte du faux etc.) est un facteur qui freine la consommation de produits contrefaits. Pour les consommateurs émiriens, on constate que certains risques, comme le risque légal, ne sont pas du tout perçus. Cela s’explique facilement dans la mesure où localement seuls les vendeurs de contrefaçon sont sanctionnés. En revanche, ils perçoivent bien certains types de risques, particulièrement le risque social et le risque produit. Dans ces conditions nous avons cherché à mettre en évidence les stratégies qu’ils adoptent pour réduire cette forme de dissonance entre perception forte d’un risque et passage à l’acte. Nous avons identifié quatre stratégies principales. La première, nous l’appelons la stratégie A-quality. Il s’agit pour le consommateur de contrefaçon de ne sélectionner que des produits de très bonne qualité dont certains peuvent coûter l’équivalent de plusieurs milliers d’euros. Ils limitent ainsi la probabilité d’être découverts par leur cercle social. La deuxième stratégie est celle du « black chameleon ». Il s’agit de mixer vrais et faux produits en fonction des types de produits (visibles ou non) et des moments. Par exemple, lors des mariages, qui sont les événements sociaux par excellence, les individus vont préférer porter des produits originaux plutôt que des faux, le risque social perçu étant trop important. La stratégie « fashionista » consiste quant à elle à privilégier les faux pour des produits très récents ou en édition limitée afin de rendre plus difficile la comparaison avec les vrais produits. Enfin, nos consommateurs émiriens mettent en œuvre ce que nous appelons la stratégie du « believer » en rappelant souvent la dimension immorale d’une dépense trop importante dans des produits de luxe pour justifier leur choix de consommer du faux. Le montant qui est alors épargné peut ensuite contribuer à aider les pauvres grâce à la zakat, un des piliers de l’Islam.
Ces résultats ont des implications fortes à la fois pour les marques qui souhaitent lutter contre la contrefaçon mais aussi pour les gouvernements qui cherchent à mieux comprendre les mesures qui pourraient détourner les consommateurs de ce type de comportement.
Quels sont vos projets à venir ?
Je continue à travailler sur la consommation de contrefaçon aux Emirats. Lors d’une collecte de données, nous avons découvert un phénomène intéressant et à contre-courant des pratiques européennes : il existe une corrélation positive entre l’âge et la consommation de produits contrefaits. Or, en Europe, ce sont plutôt les jeunes qui consomment ce type de produits. Nous menons donc des recherches pour mieux comprendre cette tendance.
Par ailleurs, je souhaite développer de nouveaux projets de recherche toujours en lien avec le comportement du consommateur mais sur de nouvelles thématiques comme la résistance à l’innovation.
[1] Pueschel J., Chamaret C. & Parguel B., (2017). Coping with copies: The influence of risk perceptions in luxury counterfeit consumption in GCC countries. Journal of Business Research, 77, 184-194.
Propos recueillis par Marie Claude Cléon