Séminaire Éthique de la recherche
Fondé en 2014, le séminaire du LinX propose de croiser les résultats, problèmes et méthodes de différents champs des sciences humaines et sociales. Il constitue un lieu original de forte innovation intellectuelle par le décentrement d'un certain nombre de questions cruciales que posent aujourd'hui les sciences et technologies en société.
A compter de l'année 2017, le séminaire du LinX sera consacré à la problématique de l'éthique de la recherche.
Coordination : Frédéric Brechenmacher & Michaël Foessel
16 mars 2017, 13h30- 15h30, amphithéâtre Painlevé
Innovation éthique pour une recherche responsable
Bernard Reber
(CEVIPOV, CNRS & Sciences-Po )
Les bouleversements scientifiques et technologiques du XXe siècle et les questions et difficultés qui les ont accompagnés (changement climatique, énergie nucléaire, OGM…) ont accru la nécessité de penser et d’encadrer le progrès technoscientifique et ses conséquences. Les évaluations d’experts et les comités d’éthique ne peuvent cependant plus être aujourd’hui les seules sources de légitimité pour appréhender l’acceptabilité sociale et la désirabilité éthique de ces progrès. La responsabilité doit être plus largement partagée, tant au sein de la société que dans la conduite des projets de recherche et d’innovation.
Cette conférence présentera les principaux concepts sur l’Innovation et la recherche responsables (IRR) envisagés sous l’angle de la responsabilité morale. Le conférencier évoquera des cas et proposera des perspectives rarement abordées dans ce domaine émergent (pratiques actuelles d’évaluation éthique, souci de l’intégrité dans la recherche, dispositifs d’évaluation technologique participative…).
Argumentaire du séminaire "éthique de la recherche"
La recherche scientifique est confrontée depuis plusieurs décennies à des défis d’un genre nouveau. Aux questions traditionnellement liées à l’éthique « dans » la recherche (établissement des sources, articulation entre travail individuel et travail collectif, brevets, plagiat, etc), se sont ajoutés des problèmes relatifs au caractère éthique scientifique de la recherche elle-même. Dès lors que cette dernière explore des domaines qui étaient jusque-là jugés extérieurs à l’action des hommes et hors de la juridiction des sciences, c’est le problème du statut social et politique de la recherche qui se trouve posé. Ces deux aspects (déontologie dans la recherche/éthique et politique des effets de la recherche) se recoupent parfois, en particulier lorsqu’il est question de l’expérimentation sur des êtres humains (ou, plus généralement, vivants). Toute une série de questions nouvelles apparaissent encore : protection des données, consentement des agents, équité dans la participation à la recherche.
La plupart du temps, ces questions sont abordées sur un mode spectaculaire par les médias, ce qui explique une partie des peurs, voire du discrédit, suscités par la science dans les sociétés contemporaines. On touche par là à l’un des grands paradoxes du présent : saturé par les rationalités techniques, notre époque se caractérise aussi par une défiance de plus en plus marquée vis-à-vis des promesses d’émancipation de la science et les discours de l’expertise. Pour faire face à ces nouveaux défis, la plupart des organismes scientifiques publics se sont dotés de comités d’éthiques destinés à « promouvoir une recherche intègre et responsable » (COMETS, CNRS). Leur position est le plus souvent prescriptive : il s’agit de fournir aux chercheurs des outils et des procédures qui permettent d’arbitrer les conflits entre devoir de vérité et exigences éthiques. Le but est aussi de réinscrire l’activité scientifique dans l’espace public et de tenter de combler le fossé qui sépare le monde (et de langage) de la recherche des attentes de la société civile en matière de transparence.
Le projet de ce séminaire est différent. Il ne s’agit pas, du moins dans un premier temps, d’établir des règles de fonctionnement « idéaux » de la recherche, mais de partir de la réflexivité immanente aux praticiens pour tenter d’en dégager des enseignements généraux. Quelle que soit sa discipline, un chercheur est confronté à des questions éthiques, que celles-ci se bornent au champ de son expérimentation ou portent plus loin lorsque les effets attendus de cette dernière sont importants en matière sociale, industrielle, médicale, etc. Le LinX propose ainsi de s’appuyer sur la spécificité de l’école (qui réunit un très grand nombre de chercheurs réunis dans des laboratoires disciplinaires variés) pour formaliser des questions devenues urgentes : sous quelle forme, et dans quelles occasions, des questions de nature éthique se posent-elles aux chercheurs ? Quelles sont les stratégies mises en œuvre pour y apporter des solutions ? Quels sont les équilibres entre accumulation des savoirs, procédés expérimentaux et inscription sociale des résultats ? Quelle est, finalement, la part faite à la conscience individuelle, à la délibération collective ou à l’improvisation dans l’établissement des règles de la recherche ?
Cette liste (non exhaustive) de questions permet de préciser les enjeux de ce séminaire : prendre appui sur la recherche telle qu’elle s’organise pour s’interroger sur ses dimensions éthiques (internes aussi bien qu’externes). Les sciences sociales représentées au LinX n’ont aucune prétention à légiférer sur des pratiques dont il faut d’abord étudier le fonctionnement et les difficultés concrètes. L’idée n’est donc pas de plaquer des règles éthiques générales sur des activités singulières, mais de partir de ces activités pour tenter de clarifier les enjeux éthiques qui s’y manifestent déjà. C’est pourquoi le séminaire se propose de mettre en place un équilibre paritaire entre des interventions émanant de chercheurs (de l’école) engagés dans des protocoles et de spécialistes de questions d’éthique scientifique. Ce dialogue devra permettre d’aborder une éthique qui soit authentiquement celle de la recherche, respectueuse autant que possible de l’impératif de justice comme de l’impératif de vérité.