Séminaire de théorie politique
La question de l’identité fait un retour massif dans le débat public, et ce dans des contextes idéologiques très divers. Les identités religieuses, culturelles, linguistiques, nationales ou sexuelles (la liste n’est pas close) réclament un droit à valoir comme des sujets politiques à part entière dans des démocraties qui continuent à se réclamer du pluralisme. Ces identités (le pluriel est en lui-même problématique) sont l’enjeu de conflits internes et externes. Elles remettent en question la capacité des États à neutraliser les adhésions des citoyens aux communautés ou à les unifier sous un « commun ». Entre « crises » et « affirmations » identitaires, les démocraties contemporaines semblent être le terrain, plus encore que les protagonistes, de confrontations permanentes. La loi, si elle demeure le principal instrument de résolution de ces conflits, n’apparaît plus à même, du fait de sa généralité, de les apaiser.
Au-delà de ces usages, parfois rhétoriques, la notion d’« identité » fait aussi l’objet d’investigations philosophiques qui mettent à l’épreuve sa consistance grammaticale (peut-on conclure de la référence linguistique d’un sujet à lui-même à l’existence d’une entité stable ?), épistémologique (à quelle conception observable du sujet renvoie le concept d’identité ?) ou ontologique (peut-on définir un être par des caractéristiques essentielles ?). Ces questions débordent le cadre politique, mais elles permettent de l’éclairer. La genèse et la définition d’une identité politique influent sur la manière dont on peut passer du « je » au « nous ».
Ce séminaire a pour ambition de réfléchir sur les articulations possibles entre la question des identités telle qu’elle se pose aujourd’hui dans le champ politique et la réflexion philosophique sur l’identité comme allégeance à soi et aux attributs culturels que les sujets reconnaissent comme leur étant essentiels.
Le principal défi réside dans la multitude des objets liés au thème des identités politiques. C’est pourquoi on propose de circonscrire le domaine d’étude à la question de « l’identité démocratique ». On ne se bornera donc pas au problème, souvent étudié, des identités dans la démocratie qui prend directement pour thème les modalités d’appartenances communautaires dans les sociétés contemporaines. Il s’agira plutôt de se demander ce que la démocratie fait aux identités, comment elle les hybride ou, au contraire, les renforce et de quelle manière elle produit elle-même des schèmes identitaires qui lui seraient propres. L’idée consiste donc à réunir des chercheurs autour d’une question ouverte, mais fondamentale : la démocratie contemporaine se caractérise-t-elle, dans ses fondements et dans sa pratique, par une dilution des identités culturelles ou repose-t-elle, directement ou indirectement, sur la valorisation d’un nouveau concept d’identité, proprement politique ?
Cette question directrice reçoit plusieurs points d’application. Parmi ceux-ci, on citera particulièrement le lien entre la démocratie, d’une part, et l’État nation, de l’autre. Le recouvrement historique, à partir du XIXème siècle, entre ces deux réalités pose nombre de problèmes que le thème de l’identité démocratique permet d’envisager : la logique démocratique est-elle soluble dans celle de l’État moderne ? La citoyenneté est-elle un titre qui suffit à définir l’identité démocratique ? Quels sont les effets de l’incertitude démocratique sur la constitution et la revendication des identités nationales ? Les notions de « peuple » et de « société civile », en tant que prétendantes au titre d’identité démocratique, pourront aussi venir en discussion, ainsi que la manière dont le marché fonde de nouveaux processus d’identification qui entrent en tension avec la dynamique démocratique.
Ce projet est donc particulièrement centré sur la théorie et la philosophie politiques, ce qui n’exclut pas une dimension plus interdisciplinaire encore (incluant la sociologie et l’histoire, par exemple). On tâchera d’articuler les questions fondamentales qui envisagent la démocratie comme une forme de société autant que comme un régime de désignation des gouvernants à des études empiriques et descriptives. Le caractère interdisciplinaire du laboratoire de recherche du LinX (École Polytechnique) associé à aux approches en sciences politiques pratiquées au Cevipof offrent un cadre idéal pour le lancement d’un tel séminaire.
Animation : Myriam Revault d’Allonnes (Cevipof), Michaël Fœssel (LinX), Vincent Martigny (LinX-Cevipof).
- 31 mars 2015 : Daniel Innerarity (Professeur de philosophie politique à l'Université de Saragosse) : « La déception démocratique ».
D. Innerarity est notamment l'auteur de:
* La Démocratie sans l’Etat : essai sur le gouvernement des sociétés complexes, Paris, Eclats, 2006
* Le futur et ses ennemis : de la confiscation de l’avenir à l’espérance politique, Paris, Eclats, 2008
* Penser le temps politique, entretiens philosophiques à contretemps avec Dominic Desroches, Québec, Presses de l’Université Laval, 2011
* La société invisible, Québec, Presses de l’Université Laval, 2013
- 5 mai 2015 : Florent Guénard (Maître de conférences à l'Université de Nantes) : « L'expansion démocratique : une impasse ? ».
L'exposé traitera des "democratization studies" américaines, de leurs enjeux et de leurs limites.