Les politiques dissuasives dans les crises internationales
Journée d’étude organisée par Thomas Lindemann, Eric Sangar, Benoit Pelopidas, Omar Layachi
l’Ecole Polytechnique, 20 juin 2017
Très souvent les chercheurs se focalisent sur les conditions structurelles des conflits. Sans écarter cette perspective, notre ambition est surtout de comprendre ce qui favorise ou prévient le passage à la violence comme moyen de résolution de conflit. En effet, uniquement une minorité de tensions se transforme effectivement en conflit armé. Ce questionnement comporte une finalité très pratique pour les décideurs politico-militaires : quel type de politique est susceptible de calmer ou au contraire d’accentuer les tensions ? Notre journée d’étude a pour objectif de s’interroger sur la pertinence des politiques dissuasives dans les crises qui sont littéralement entre paix et guerre, c’est-à-dire les périodes marquées par un risque élevé d’affrontement armé entre unités politiques (Etats mais aussi unités non-étatiques).
Epistémologiquement souvent ancrées dans la théorie des jeux des années 1960 et 1970, les modèles rationalistes mettant en avant les vertus objectives de la dissuasion dans l’analyse des crises internationales. Ils postulent que les guerres éclatent parce que l’État défiant le statu quo n’est pas dissuadé de manière crédible d'entreprendre une agression. Cette absence de dissuasion favorise dans un calcul de coûts et bénéfices dans lequel la guerre apparaît comme une option « réaliste » dans la réalisation d’un objectif politiques donné. L’ambiguïté de la politique britannique au cours de la crise de juillet 1914 aurait autant encouragé les dirigeants allemands à persévérer dans une politique conflictuelle que les concessions faites à l’Allemagne à Munich en 1938.
Deux perspectives vont être mobilisées pour interroger la pertinence du modelé rationaliste dominant. Dans une première – que l’on pourrait nommer la perspective de la rationalité limitée – les politiques de dissuasion, notamment celles nucléaires, peuvent augmenter les risques de guerres accidentelles, suite à des erreurs de l’interprétation du comportement de l’adversaire ou du traitement erroné d’informations dans les chaînes de commandement. Ainsi, certains analystes considèrent qu’une politique de la maîtrise des armements est nécessaire afin de réduire ces risques cognitifs et d’établir des liens de communication directs entre les adversaires.
Dans une deuxième perspective, nous partons de l’hypothèse selon laquelle les responsables d’un État cherchent aussi à faire valoir une certaine image d’eux-mêmes et de leur collectivité (homo symbolique). Le besoin de mobiliser des ressources de légitimité symboliques et émotionnelle dans le but de maintenir la cohésion interne peut conduire à des politiques dissuasives qui ne correspondent pas forcément aux intérêts « objectifs ». De surcroît, l’idéal de l’unité politique fondée sur l’auto-détermination (la « souveraineté » dans le cas des Etats) peut entrer en conflit avec le principe même de la dissuasion, représenté comme instrument de domination des acteurs hégémoniques. Ainsi, aussi bien pour des raisons émotionnelles que stratégiques (les couts d’audience des décideurs devant leur électorat par exemple), des décideurs « contraints » par la dissuasion peuvent risquer de paraitre « serviles » et de ce fait être incités à résister à la dissuasion – même si les intérêts de sécurité « objectifs » y sont favorables.
Notre journée d’étude réunira principalement des chercheurs de l’Ecole Polytechnique et des Sciences Po qui ont vocation à travailler ensemble sur un programme de War Studies. Elle présentera aussi pour la première fois des données quantitatives sur une soixantaine des séquences d’escalade et de dé désescalade dans la gestion des crises internationales.
Les contributions aborderont l’influence de l’interaction entre facteurs domestiques et extérieurs, ou bien entre facteurs matériels et idéationnels, dans le but de développer une meilleure compréhension de l’évolution des politiques de dissuasion et de leur efficacité.
Programme
9h00-9h15 Ouverture:
9h15-9h45 Introduction :
Thomas Lindemann, Benoit Pelopidas et Eric Sangar
10h15-12h15 Table ronde : La dissuasion comme « phénomène social total »
L’objectif de cette table ronde est d’ouvrir les regards analytiques sur le phénomène de la dissuasion, au-delà des perspectives purement rationalistes. Chaque intervenant-e présentera dans une dizaine des minutes un regard disciplinaire différent sur la dissuasion et tentera de voir comment la logique de la dissuasion peut se décliner selon l’angle d’analyse d’autres disciplines des sciences sociales. Après les interventions individuelles, un débat d’environ 30 minutes permettra de faire dialoguer les différentes approches et ainsi développer une compréhension conceptuelle plus riches de la dissuasion.
Interventions :
- Eric Sangar : Sociologie de la mémoire. La dissuasion dans une une perspective historique
- Frédéric Ramel : La dissuasion dans la philosophie politique
- Jerome Sackur : La dissuasion et les limites de la rationalité
- Marie-Charlotte Euvrard : La dissuasion nucléaire française
- Vincent Martigny : Le récit national et la dissuasion
12h15-13h45 Déjeuner
13h45-16h45 Etudes de cas empiriques
Après la discussion conceptuelle, l’objectif de la deuxième partie est de discuter l’utilité d’une conceptualisation élargie de la dissuasion pour comprendre des problèmes empiriques concrets.
Dans cette partie, les intervenants présenteront d’abord individuellement des études de cas empiriques dans environ 10 minutes. Ensuite, un débat d’environ 30 minutes se focalisera sur trois questions
1. Quelles sont les conditions empiriques de l’efficacité des politiques de dissuasion ?
2. Quel est le poids des facteurs symboliques et émotionnels dans la formation des politiques de dissuasion ?
3. Quelles sont les implications épistémologiques et méthodologiques de l’élargissement conceptuel de l’analyse de la dissuasion ?
Interventions :
- Benoît Pelopidas: the fear-inducing effects of nuclear weapons in crisis: evidence from the French experience and memory of the Cuban Missile Crisis
- Marine Guillaume : Repenser le concept de dissuasion au XXIème siècle
- Thomas Lindemann, Clément Bourdier, Omar Layachi : « La honte ou la survie ? » : Ce que nous disent les données quantitatives sur la dissuasion dans les crises internationales
- Franca Loewener : Les filtres identitaires contre la dissuasion, les crises marocaines de 1905 et 1911
- Ronald Hatto, La dissuasion et la crise yougoslave
16h45-17h30 Clôture :
Thomas Lindemann, Benoit Pelopidas et Eric Sangar
Résumé des principales avancées de la journée d’études,
Discussion finale
Proposition de futurs projets de collaboration