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Une enzyme prometteuse pour la chimie verte dans Science

Le fonctionnement d’une enzyme, qui pourrait être utilisée pour produire des biocarburants et de la chimie verte, a été décrypté. Ce résultat a mobilisé une équipe internationale de scientifiques avec un apport important du Laboratoire d’optique et biosciences. Cette découverte est publiée dans Science le 9 avril 2021.

Enzyme

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Un consortium international, dont de nombreux chercheurs et chercheuses du CEA, du CNRS, de l’Inserm, de l’École polytechnique et des universités de Grenoble Alpes, Paris-Saclay et Aix-Marseille, ainsi que d’un Institut Max Planck en Allemagne et du Centre de l'accélérateur linéaire (SLAC) de Stanford, ont décrypté les mécanismes de fonctionnement de la FAP – pour Fatty Acid Photodecarboxylase - naturellement présente dans des algues microscopiques comme la chlorelle. Cette enzyme avait été identifiée en 2017 comme capable, à l’aide d’énergie lumineuse, de former des hydrocarbures à partir d’acides gras produits par ces microalgues. Pour aboutir à ce nouveau résultat publié dans Science le 9 avril 2021, les équipes de recherche ont mobilisé une panoplie expérimentale et théorique complète.

Etudier des phénomènes ultra-rapides

En raison du déclenchement de leur réaction par la lumière, les photoenzymes donnent accès à des phénomènes ultrarapides se déroulant au cours des réactions enzymatiques. L’enzyme FAP représente donc aussi une opportunité unique de comprendre en détail une réaction chimique se déroulant au sein du vivant.

Plus précisément, dans ce travail, les chercheurs et chercheuses montrent que lorsque l’enzyme est éclairée et absorbe un photon, un électron est arraché en 300 picosecondes (1 picoseconde = un millième de milliardième de seconde) à l’acide gras produit par les algues. 

Cet acide gras est alors dissocié en précurseur d'hydrocarbure et en dioxyde de carbone (CO2). La majorité du CO2 ainsi produit est ensuite transformée en 100 nanosecondes en bicarbonate (HCO3-) au sein de l'enzyme. L’activité de l’enzyme nécessite de la lumière, mais elle n’est pas inhibée par les pigments de la photosynthèse : la molécule de flavine intégrée à l’enzyme, qui absorbe le photon, est courbée. Cette configuration spatiale, dite « conformation » déplace le spectre d’absorption de la molécule vers le rouge, de sorte qu'elle utilise des photons non exploités pour l’activité photosynthétique de la microalgue.

Le LOB au cœur de l’action

Au sein du Laboratoire d’optique et biosciences (LOB*), Marten Vos, directeur de recherche CNRS est entré en contact avec les chercheurs du CEA Cadarache et Saclay qui ont découvert cette enzyme en 2017 et y travaillaient depuis. Un véritable travail d’équipe s’est alors construit avec Damien Sorigué, chercheur au CEA et premier auteur de cette publication.

Les chercheurs, ingénieurs, doctorant et stagiaire du LOB ont travaillé d’une part sur la spectroscopie visible à l’échelle femtoseconde-picoseconde pour suivre la cinétique de photo-réduction de la flavine et d’autre part sur la spectroscopie infrarouge multi-échelle (couvrant une gamme temporelle s’étendant sur plus de huit ordres de grandeurs) avec une grande résolution spectrale pour suivre la formation et le devenir du produit CO2 au sein de l’enzyme. Cette dernière approche marie deux techniques originales développées au LOB. 

D’abord l’ADASOPS (Arbitrary-Detuning ASynchronous OPtical Sampling) qui permet de couvrir une très grande fenêtre temporelle en utilisant deux lasers femtosecondes indépendants, une technique unique brevetée par le LOB. Cet outil, fruit de 10 ans de travail, a mobilisé les compétences complémentaires de Laura Roby Antonucci, ingénieure de recherche à l’Ecole polytechnique ayant consacré sa thèse à l’ADASOPS, Xavier Solinas, ingénieur d’études CNRS en électronique, Adeline Bonvalet, ingénieure de recherche CNRS, et Manuel Joffre, directeur de recherche CNRS et professeur à l’Ecole polytechnique.  

L’autre approche expérimentale utilisée, le CPU (Chirped Pulse Upconversion), développée depuis plus longtemps au sein du laboratoire, a permis de détecter le spectre infrarouge avec une résolution spectrale nettement supérieure à celle des barrettes de détecteurs infrarouges conventionnels.

Les expériences sur l’enzyme FAP ont été adaptées à la sensibilité particulière de l’enzyme qui doit être renouvelée pour chaque impulsion absorbée, à une cadence de 1 kHz. « Il n’était pas possible de « taper » plusieurs fois sur l’échantillon comme nous le faisons habituellement » explique Marten Vos, « et le travail en tandem d’Adeline et Damien a été essentiel pour trouver les bonnes conditions expérimentales ». Les expériences ont aussi bénéficié de l’aide d’Assia Benachir, stagiaire du programme Bachelor au sein du laboratoire, notamment lors de la préparation de la campagne de mesures. Les chercheurs ont été aidés également par Bo Zhuang, en thèse au LOB, qui a travaillé sur l’analyse des données.

En résumé, les travaux menés au LOB ont permis de suivre la formation du produit CO2 en 300 ps, d’établir sa transformation partielle inattendue en 100 ns, et de suivre son relargage vers l’extérieur de la protéine en 1.5 µs, grâce à un très léger décalage spectral.

Ces données cinétiques sont complémentaires aux données structurelles transitoires obtenues par d’autres équipes du consortium par cristallographie résolue en temps et par cryo-piégeage. Une autre contribution du LOB concerne les travaux d’Alexey Aleksandrov, chargé de recherche CNRS, qui a réalisé des simulations moléculaires pour analyser la dynamique du spectre du CO2 et pour expliquer la courbure inhabituelle de la flavine dans l’enzyme.

Un travail d’équipe au sein d’un consortium international

C’est l’interprétation combinée des résultats de diverses approches expérimentales et théoriques par le consortium international qui donne une image détaillée, à l'échelle atomique, de l’enzyme à l'œuvre. L’étude pluridisciplinaire a combiné des travaux en bioingénierie, des spectroscopies optique et vibrationnelle, des cristallographies statique et cinétique réalisées avec des synchrotrons ou un laser à électrons libres à rayons X ainsi que des calculs de chimie quantique. 

Cette étude a bénéficié d’un financement de l’Agence nationale de la recherche (ANR SNAPsHOTs - 18-CE11-0021, coordonné par Frédéric Beisson) et l’apport du Laboratoire d’optique et biosciences est un très bel exemple de la synergie entre l’optique de pointe et la compétence en biologie fondamentale de ses équipes.

> Lire la publication dans Science

> Lire le communiqué de presse national

En savoir plus sur le projet SNAPsHOTs

En savoir plus sur l’ADASOPS

*LOB : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris, Inserm