Laboratoire CRG

Shifting scopes – L’évolution des périmètres de management de l’innovation

Entretien avec Rémi MANIAK, Professeur à l’École polytechnique au Département MIE et chercheur à i3-CRG

Shifting scopes – L’évolution des périmètres de management de l’innovation
06 fév. 2018
Divers 4

Rémi MANIAK est Professeur à l’École polytechnique, dans le département Management Innovation Entrepreneuriat et chercheur à i3-Centre de Recherche en Gestion. Il est diplômé de l’ESCP et docteur de l’École polytechnique.

Ses travaux portent sur le management de l’innovation, notamment dans les grandes entreprises. Il étudie les structures de R&D pertinentes pour innover, ainsi que les modalités de coopération entre entreprises.

Il a publié ses travaux dans des revues comme Journal of Product Innovation Management, Industrial and Corporate Change, International Journal of Project Management ou Project Management Journal.

Sur quel projet travaillez-vous actuellement ?

Je prépare actuellement une Habilitation à Diriger des Recherches. C’est une synthèse de l’évolution de mes travaux et de mon champ de recherche. J’y montre en particulier que les périmètres de management de l’innovation ont largement évolué par rapport au modèle traditionnel de la gestion de projet de développement.

Sur le plan temporel, on peut mettre en évidence un double élargissement. D’une part, en amont, de nouvelles pratiques « d’ambidextrie » se déploient afin d’articuler les projets de développement avec les activités d’exploration (par exemple les directions de recherche, l’ingénierie avancée ou les Innovation Labs). D’autre part, le processus d’innovation tend à s’étendre vers l’aval des projets selon une logique de « programme de lignée », qui permet de valoriser au mieux les apprentissages réalisés lors du premier projet et les déployer sur d’autres produits innovants.

Sur le plan organisationnel, on voit une tendance claire vers l’élargissement du périmètre des projets d’innovation à des contributeurs plus nombreux et plus variés (startups, villes, etc.). Au sein de ces projets que nous avons appelés de « proto-écosystèmes », le pilotage vise non seulement à concevoir une solution technique commune, mais également à tester et à stabiliser les rapports d’interdépendance entre les acteurs et la viabilité de l’écosystème d’affaires.

Un troisième élargissement porte sur l’évaluation des projets. Traditionnellement, un projet est évalué économiquement sur ses résultats directs (marge). Nos recherches sur la « Full Value » ont montré l’importance d’intégrer dans cette évaluation d’une part l’effet de levier de l’innovation sur les ventes des autres produits ou services de la firme, et d’autre part sur la manière dont le projet pouvait régénérer les actifs de l’entreprise (compétences, marque, etc.). La valeur d’un projet est alors beaucoup plus large que la seule innovation qu’il a directement produite.

Au-delà de ces changements de périmètres, quelles sont les nouvelles attitudes à développer en situation d’innovation ?

Je voudrais mettre l’accent sur le changement radical de posture face à l’incertitude.

Les méthodes classiques de pilotage de l’innovation se focalisent sur la qualité de la prévision, la réduction des risques a priori et la convergence vers un objectif fixé ex ante. Or, si ces principes sont adaptés pour des innovations incrémentales, ils le sont beaucoup moins sur des innovations plus radicales, où l’on sait pertinemment que rien ne se passera comme prévu, vu le niveau d’incertitude sur la technologie, le marché ou les coûts.

Pour ce type d’innovations, plusieurs théories récentes convergent pour nous inciter à piloter un projet d’innovation comme une sorte de machine à apprendre.

Ainsi, le discovery driven planning repose sur l’identification préalable des zones d’incertitudes, et le pilotage du projet par des plans d’actions visant à explorer ces incertitudes avec un minimum de moyens.

Le modèle lean startup reprend ce principe dans le contexte des startups, en y ajoutant l’impératif de multiplier les itérations avec le marché, et de modifier l’offre rapidement (« pivoter ») en fonction des retours des clients.

L’effectuation incite quant à elle à partir non pas de l’objectif, mais des ressources (souvent maigres) dont on dispose pour se lancer sur le marché dès que possible avec ce qu’on a, construisant de proche en proche une offre attractive et des compétences associées.

Ces théories et méthodes sont à l’opposé d’une vision intuitive « balistique » de la gestion de projet.

 

 

Propos recueillis par Marie Claude Cléon

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