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Entre masculinité et technicité : comprendre le cadrage narratif de la violence des forces armées

 

Contacts : Roselyne Bernard Nous contacter

Thomas Lindemann,  Professeur de science politique, Nous contacter

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Dans des sociétés « occidentales » où la violence constitue un tabou social, son emploi doit être justifié par les décideurs politiques et les professionnels de la chose militaire.  Ainsi, le recours à la force armée contre un autre Etat, une population ou la radicalisation « terroriste » tient aussi à un cadre « discursif » qui permet par exemple de neutraliser l’empathie envers les victimes. Ces besoins de légitimations sont confrontés aux évolutions technologiques et stratégiques résultant dans une disparition croissante de la menace réciproque des combattants. Les effets de ces évolutions sur les cadres narratifs de la violence politique ont été très peu étudiés de manière rigoureuse.

Nous nous proposons d’examiner lors de cette journée d’étude comment les décideurs politico-militaires et « terroristes » présentent et se représentent la guerre. L’étude des cadres narratifs de la violence dans les institutions militaires de l’après guerre froide et des acteurs dits terroristes doit nous permettre à comprendre en quoi les nouvelles technologies (bombardement à distance, drone, interface humains-machine et intégration hommes-systèmes, contraintes cognitives et homme augmenté)  modifient les représentations de la guerre et comment l’expérience de la guerre transforme respectivement l'image de l’autre et celle de soi.

Plus particulièrement, nous voulons tester comment ces nouvelles technologies affectent le récit « masculin » du héros protecteur qui fournit traditionnellement la légitimation de l’entrée en guerre. En somme, ce récit « protecteur » repose sur une opposition entre un acteur héroïque et virile (force physique, mépris de la mort) et un autre « lâche » (égoïste, faible voire traitre) ainsi qu’une victime « innocente » (souvent enfants et femmes) que l’on doit protéger contre des agresseurs « pervers » (tueurs insensibles voire sadiques).

Différentes hypothèses peuvent être testées pour formuler un lien entre « technologies » et récits « héroïques». Selon la première, l’usage massif des technologies dans l’institution militaire réduirait l’aspect héroïque de la guerre en favorisant chez les militaires une évolution identitaire allant du professionnalisme radical - les « warrior » ethos – à une conception banalisée de soi –  l’éthos du « manager », c’est-a-dire celui des  professionnels  compétents de la violence. Selon une deuxième hypothèse, le récit « virile » garderait sa pertinence dans les « nouvelles guerres ». Dans cette perspective, l’éthos viril ferait des « armes à pénétration » la prolongation de la force physique traditionnelle au service des populations menacées (lors des interventions humanitaires par exemple). L’évolution narrative du « warrior ethos» au référentiel du « manager » de la violence mérite aussi à être questionnée pour les hommes politiques qui doivent justifier la guerre auprès d’une population qui n’est pas habituée à la manipulation des armes. De la même manière, on pourrait penser que cette « civilianisation » de l’institution militaire » va de pair avec une exacerbation du « récit » virile des acteurs « terroristes » tentant d’en faire de leur infériorité technologique une « force morale » non « corrompue » et de ce fait supérieure. Enfin, nous nous intéressions à toute perspective comparative qui pourrait aider à illuminer le statut du discours du « héro-protecteur » à travers plusieurs sociétés, groupes armés, ou même à travers les branches organisationnelles au sein d’une même organisation militaire.