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Découvrez le parcours engagé de Julia Mouzon (2004), fondatrice d’Élues Locales

Chaque mois, l'AX vous propose de découvrir le parcours d’une ou d’un camarade. Aujourd'hui, nous rencontrons Julia Mouzon, diplômée de la promotion X2004, lauréate du programme Leaders de la Fondation Obama et fondatrice d'Élues Locales, une société qui forme les femmes élues à l’exercice du mandat local.

 

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Julia Mouzon (2004) - Crédit : Clemence Herout

Qu’est-ce qui vous a amenée à choisir l’École polytechnique ?

J’ai eu beaucoup de chance car je suis née dans une famille où le parcours classe préparatoire/grandes écoles était bien connu. Mon grand-père paternel avait tenté le concours sans l’avoir, et du côté de ma mère chaque génération comptait un polytechnicien. Dans ma famille, c’était donc un parcours qui était très valorisé. J’aimais beaucoup les maths et la physique, et j’ai suivi ce chemin.

Un souvenir du temps où vous étiez à l’X ?

Je garde une grande reconnaissance pour les professeurs exceptionnels que j’ai eus sur le campus. Je me souviens du cours en amphi de Jean Dalibard, sur la physique quantique. Je ne le manquais pour rien au monde parce que, en plus d’être un scientifique hors pair, Jean Dalibard est un pédagogue exceptionnel. Quand on allait lui poser des questions à la fin du cours, il était toujours capable d’expliquer des concepts très théoriques de façon simple et accessible, sans jamais vous faire vous sentir que vous n’étiez pas au niveau ou que vous ne compreniez rien – un sentiment que j’avais pourtant souvent dans cette école !

Vous êtes diplômée de la promotion X2004. Quel a été votre parcours après la sortie de l’École ?

J’ai d’abord travaillé à la direction générale du Trésor, au ministère des Finances, puis j’ai créé ma société, Élues Locales

J’ai été frustrée à la direction du Trésor par l’éloignement que l’on avait du terrain. Je me souviens en particulier que l’on m’avait confié un travail d’évaluation sur les missions locales. Les missions locales en France sont des équivalents de Pôle Emploi pour les jeunes. J’avais le sentiment – et je l’ai encore aujourd’hui – que je ne pouvais pas mener ce type d’évaluation sans savoir à quoi ressemblait une mission locale, sans comprendre qui étaient les jeunes qui y étaient accompagnés, quel était leur parcours, leur environnement, leurs attentes et leurs besoins. 

Mais je n’avais jamais été dans une mission locale. J’avais honte de cette déconnexion et pendant quelques jours, je n’ai pas osé en parler autour de moi. Quand j’ai commencé discrètement à demander à mes collègues de Bercy, au détour d’un couloir ou entre deux portes, à quoi ressemblait le quotidien dans une mission locale, personne n’a pu me répondre. Et j’ai réalisé qu’aucun de mes collègues de tout l’étage n’avait jamais mis les pieds dans une mission locale. C’était logique : nous avions tous fait des grandes écoles et aucun d’entre nous n’avait jamais eu besoin d’aller dans une mission locale pour trouver un emploi. Pourtant, nous avions la responsabilité de leur allouer des budgets ou de leur en retirer. 

Cette façon de construire des politiques publiques était impensable pour moi. Ma famille était privilégiée mais elle avait connu des temps difficiles. Ma grand-mère avait été pupille de la nation, mon grand-père avait fait Polytechnique grâce à des bourses d’État et aux encouragements d’un professeur contre l’avis de ses parents : mes parents étaient très conscients de la part que tenait la chance dans leur parcours. Dès que nous prétendions, enfants, avec ma sœur, savoir mieux que les autres, nous nous faisions vite rappeler à l’ordre. Mon premier réflexe était donc d’aller demander leur avis aux bénéficiaires des politiques publiques.

Ce sentiment de déconnexion, associé à mon sentiment de solitude en tant que femme à la direction générale du Trésor, m’a amenée à créer Élues Locales, qui est une société qui forme les femmes élues à l’exercice du mandat local.

Pourriez-vous nous parler un peu plus d’Élues locales ?

Aujourd’hui, nous sommes confrontés aux plus grands défis de notre histoire : le changement climatique, des crises démocratiques sans précédent avec des populations qui se divisent et qui s’opposent de plus en plus, des crises migratoires à venir et des crises existentielles et spirituelles fortes dans les pays développés. Sans même parler de la crise sanitaire !

Face à cela, nous devons inventer de nouveaux modèles économiques, sociaux et démocratiques. 

Élues Locales est l’une des réponses à ce problème. Car s’il y a bien une chose que l’Humanité n’a jamais essayée depuis 10 000 ans, c’est d’avoir plus de femmes au pouvoir. C’est une chose que l’on constate vite quand on est une femme dans la vie professionnelle !

Nous formons 1 000 élues par an et nous animons aussi le plus grand réseau européen de femmes élues, avec plusieurs milliers de femmes que nous réunissons chaque année autour d’élues qui sont nos Ambassadrices dans les départements. J’ai une quinzaine de salariés et nous travaillons avec une trentaine de formateurs dans toute la France.

Je crois au rôle fondamental de l’action locale. Il faut revaloriser nos territoires. Le lien humain et la confiance que nous avons dans nos démocraties, et même simplement dans nos voisins, sont précieux mais jamais acquis. Il nous faut les entretenir et les reconstruire tous les jours, et c’est dans nos territoires que ce lien se crée. 

À Prayssas par exemple, une petite ville du Lot-et-Garonne, le maire s’est battu pour obtenir des subventions européennes pour construire un auditorium avec un orgue. Parce que cet élu était dynamique, volontaire, qu’il avait un réseau, il a redynamisé sa commune : un restaurant et un traiteur se sont installés, les gens viennent, les enfants écoutent de l’orgue dans cette zone rurale. À l’inverse, un élu moins ambitieux peut voir en quelques années sa commune dépérir parce qu’elle aura perdu son distributeur à billets puis sa boulangerie... Et les habitants, ensuite, perdent espoir. Ce sont dans ces détails de la vie des gens que se joue la force de notre démocratie. 

Qu’est-ce que vos études à Polytechnique vous ont apporté dans votre parcours ?

J’ai énormément appris à l’École polytechnique sur le plan intellectuel comme sur le plan humain, et j’y ai trouvé un réseau très solide. Et bien sûr, l’École polytechnique est une carte de visite qui ouvre beaucoup de portes. Cette carte de visite m’a beaucoup facilité les choses quand j’ai contacté des personnalités politiques de tous bords pour lancer Élues Locales.

C’est une chance immense que nous avons eue d’avoir pu candidater puis intégrer l’X. Et il faut reconnaître que c’est une chance qui n’est pas donnée à tous, car beaucoup de jeunes ne connaissent pas les grandes écoles ou n’ont pas la possibilité – financière, matérielle – de suivre deux années de classes préparatoires après le bac. Ce n’est pas toujours une réalité très agréable à regarder mais la vraie sélection s’est jouée bien avant le concours, entre ceux qui ont eu la possibilité de passer les épreuves et les autres !

Je trouve donc que nous, anciens élèves, avons la responsabilité d’être conscients de cette part de chance et d’agir en conséquence. D’abord en travaillant pour diversifier le recrutement de l’École polytechnique, faire en sorte que ces parcours de grandes écoles soient connus et accessibles à toutes et tous. Ensuite, dans nos vies professionnelles, en nous engageant pour résoudre ces défis sociétaux grâce à toutes les ressources que l’École polytechnique nous a données. 

En septembre 2020, vous avez été sélectionnée pour faire partie du programme Leaders de la Fondation Obama. Qu’est-ce que ce programme et qu’est-ce que cela a représenté pour vous ?

Le programme de la Fondation Obama est un programme de 6 mois qui a été décliné pour la première fois par la Fondation en Europe en septembre 2020. J’ai eu la chance d’être sélectionnée aux côtés de 34 autres leaders européens pour suivre ce programme. C’est un programme de formation au leadership et à la pensée critique. 

Le programme a consisté en de nombreuses rencontres en visioconférences avec des intervenants de tous horizons, des professeurs de Harvard comme des parlementaires européens, pour réfléchir aux changements en cours dans le monde et aux meilleurs moyens d’y faire face. Nous avons donc abordé des sujets comme la régulation des GAFAM, la lutte contre le racisme, ou encore le changement climatique. Les échanges se poursuivent aujourd’hui de façon très régulière avec les autres leaders européens du programme.

Quels sont vos projets pour l'avenir ? 

Élues Locales forme aujourd’hui 1 000 élues par an, notre objectif demain est d’en former 10 000 !

Un message à vos camarades ?

J’ai eu la chance de côtoyer pendant ces dernières années des environnements extrêmement différents : des environnements militants dans des associations féministes, des écosystèmes d’innovation dans le milieu entrepreneurial, le secteur public à travers mon travail avec les collectivités, des environnements internationaux à travers la Fondation Obama.

J’encourage les élèves de l’École et mes camarades anciens élèves, dès qu’ils le peuvent, à sortir des chemins tout tracés et des lignes droites. Ce n’est pas facile, dans un parcours professionnel, de prendre des risques et de s’exposer en choisissant des routes moins classiques. Il est aussi tentant à un moment donné de se reposer sur ses lauriers. Mais la quantité d’innovations sociales, écologiques, et entrepreneuriales dans le monde est phénoménale. C’est cette inventivité et cette créativité qui nous montrent la voie. Et seuls le doute et la curiosité nous permettront de trouver des solutions nouvelles aux défis du monde de demain.

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